De la profondeur des « nanars »

Il est des comédies potaches qui sont parfois surnommées « nanars » par des pseudo-spécialistes du cinéma, dont les avis sont aussi crédibles que ceux donnés par François-Régis Gaudry, le critique culinaire le plus détesté des téléspectateurs de Top Chef, lorsqu’il goûte des plats dans certaines épreuves de la célèbre émission culinaire de M6.

Mais certains de ces films, que j’affectionne particulièrement, sont beaucoup plus profonds qu’il n’y paraît, pour peu qu’on prenne la peine de les regarder avec un œil un tant soit peu intelligent…

Car si l’on se penche sur la définition d’un « nanar », voilà ce qu’on trouve : la plupart des dictionnaires s’accordent pour dire qu’il s’agit d’un « film inintéressant », « médiocre », d’un « navet ».

C’est raide quand même !

Et c’est pourquoi j’ai eu l’idée de vous offrir ma propre analyse de 2 de ces films comiques qualifiés injustement de « nanars » par les critiques et autres analystes à la mords-moi-le-nœud, sans doute le genre de personnes qui boivent leur thé le petit doigt levé et ne s’intéressent qu’aux films d’auteurs ouzbeks en VO non sous-titrée…

Le Grand Bazar

Bonjour, bonjour mesdames, nous sommes vos vendeurs…

  • Les détails techniques :

Réalisé par Claude Zidi et sorti le 6 septembre 1973 sur les grands écrans français, ce film compte parmi son casting Les Charlots (Gérard Rinaldi, Gérard Philipelli, Jean Sarrus et Jean-Guy Fechner), mais aussi Michel Galabru, Michel Serrault, Roger Carel, Jacques Seiler (un habitué des films avec Les Charlots), Coluche, Dominique Lavanant, etc.

  • L’histoire :

Le Grand Bazar, c’est 4 potes qui, à force de faire n’importe quoi, se font virer de l’usine de tondeuses où ils étaient ouvriers. Ils cherchent alors à vivoter grâce à des petits jobs, mais une fois de plus c’est catastrophique.

Source ici

Heureusement que leur ami, Émilie, tenancier du bistrot-épicerie du quartier, les soutient dans leurs démarches. Mais un jour, c’est Émile qui a besoin d’aide car l’ouverture d’un Euromarché, le premier hypermarché du coin, va lui faire perdre tous ses clients, comme pour les autres commerçants du quartier…

  • Mon analyse :

À première vue, ce film a pour seul et unique but de nous faire rire, et ça marche : Les Charlots cumulent les gags débiles (le licenciement à l’usine, les petits jobs, les combines pour faire du tort à l’hypermarché…), et entraînent les autres dans leurs conneries (je pense notamment à la scène où ils se font courser par les flics en moto, et qui finit en concours d’acrobaties avec eux) ou les font tourner en bourrique (Jacques Seiler approves !).

Mais au-delà de l’humour, ce film est également une critique acerbe :

• de l’arrivée de la grande distribution qui a ruiné les petits commerçants de quartier. Il ne faut pas oublier que le film est sorti en 1973, soit 10 ans après l’ouverture du tout premier hypermarché en France. De plus, la fin des années 60 a vu augmenter le nombre de ces grands magasins qui en plus ont commencé à se doter de galeries marchandes, les rendant encore plus « polyvalents » et attirant toujours plus de clients qui boudèrent leurs petits commerces habituels.

D’ailleurs il n’y a pas vraiment de fin heureuse dans ce film puisque Émile fait faillite et doit vendre ses biens aux enchères avant de partir.

Source ici

Nos 4 trublions eux-mêmes, qui s’installent en rase campagne et ouvrent un garage pour deux-roues, voient arriver en fanfare un camion muni d’une banderole annonçant l’ouverture prochaine « du plus grand motoservice d’Europe » juste en face… Une manière de montrer l’ascension fulgurante et inexorable des grandes surfaces de vente, spécialisées ou non, qui écrasent tous les autres commerces sur leur passage.

• de la société de consommation. À présent, les gens veulent tout à portée de main tout de suite. Ils ne recherchent plus le contact avec un commerçant, la petite discussion en faisant ses emplettes, etc. Ils préfèrent la froideur d’un grand magasin impersonnel, où ils n’ont qu’à passer d’un rayon à l’autre pour faire leurs courses de la semaine, au lieu de devoir aller d’abord chez l’épicier, puis chez le boucher, puis chez le quincailler… Il faut dire que c’est plus rapide, plus pratique et moins cher, mais cela les pousse à consommer toujours plus, achetant des articles dont ils n’avaient pas forcément besoin. On le voit bien lorsque, le jour de l’inauguration du magasin, des ménagères courent comme des hystériques avec leurs caddies pour se servir au plus vite, sans vraiment réfléchir à ce qu’elles vont acheter (d’ailleurs Jean en fera les frais puisqu’il se retrouvera dans un de ces chariots)…

Le but de ces super- et hypermarchés n’est de toute façon que de faire du profit en incitant à l’achat : après la poursuite entre un Jacques, devenu responsable de la sécurité de l’Euromarché et affublé d’une tête de veau en guise de « couverture », et un Phil en slip, le directeur, face à l’attroupement de clients qui assistent médusés à cette scène et ont donc cessé de mettre des articles dans leurs caddie, leur dit : « Achetez, messieurs-dames, achetez ! ». Si le film devait avoir une devise, ce serait celle-ci…

La Soupe aux Choux

C’est quand même ben foutu les étoiles…

  • Les détails techniques :

Réalisé par Jean Girault, ce film est sorti le 2 décembre 1981 dans nos salles obscures. Les acteurs principaux sont Louis de Funès, Jean Carmet, Jacques Villeret, Christine Dejoux, Claude Gensac, Marco Perrin et tant d’autres.

  • L’histoire :

Dans le hameau des Gourdiflots, au fin fond de l’Allier, vivent 2 vieux amis, Claude Ratinier (alias Le Glaude) et Francis Chérasse (alias Le Bombé). Ils mènent une petite vie tranquille faite de « ch’tis canons », de discussions sous les étoiles et de concours de pets. Mais un jour, l’une de ces séances de pétomanie déclenche une tempête d’orage et fait débarquer un extraterrestre qui va bouleverser la vie de ces deux vieillards.

  • Mon analyse :

À mon humble avis, La Soupe aux Choux a 3 niveaux de lecture différents :

• 1er niveau : l’histoire de 2 vieux qui picolent et n’arrêtent pas de péter, et d’un extraterrestre qui fait des bruits bizarres. Ce 1er degré, à l’humour très primaire, est en général celui des jeunes téléspectateurs. La 1re fois que j’ai vu ce film, j’étais petite et j’étais pliée de rire de voir De Funès et Carmet lâcher des pets improbables à la télé. Mais même à l’âge adulte, ça me fait toujours autant marrer : en effet, comment ne pas rire un minimum en les entendant battre des records de longueur et de sonorité quand ils pètent ?

• 2e niveau : une critique acerbe du capitalisme. Ça, c’est l’analyse qu’on fait à partir de l’âge adulte. Dans La Soupe aux choux, le maire souhaite encourager l’expansion économique de son village, et pour cela il est prêt à exproprier nos 2 petits-vieux de leur hameau, afin d’y faire construire un parc de loisirs. Devant leur réaction indignée, il s’énerve, les insulte (« vieux débris »…), et va jusqu’à les menacer (« je vous ferai crever ! »).

Déjà au début des années 80, on mettait nos vieux au ban de la société, prêts à les dégager pour raser leurs bicoques et faire de la place afin de construire des centres commerciaux et autres parkings, au nom de la sacro-sainte économie. Aujourd’hui, pour se débarrasser des « poids morts » (encore une insulte du maire dans le film), on les exproprie et on les envoie en EHPAD où ils finiront leurs vies loin de chez eux et de leurs repères.

• 3e niveau : la nostalgie de la jeunesse perdue. Alors cette lecture-là du film, c’est plutôt quand on commence à prendre de l’âge et à repenser à ses jeunes années qu’on la fait. Le Glaude, qui a perdu sa femme la Francine 10 ans auparavant, repense souvent à elle avec tristesse, notamment quand tous 2 étaient jeunes et dansaient sur La Valse brune.

Dès qu’il l’évoque, que ce soit auprès de son acolyte bossu ou de son nouvel ami venu de l’espace, son regard s’emplit de tristesse, sa voix s’adoucit, on voit qu’il l’aimait sa Francine, même si après sa résurrection, celle-ci se plaindra des 60 années qu’elle a passées à trimer… Il va d’ailleurs régulièrement au cimetière pour fleurir sa tombe et lui raconter tout ce qui se passe dans sa vie, comme si elle était toujours là…

Et lorsque la Francine de 20 ans, ressuscitée, décide de partir à Paris pour trouver du travail, c’est un nouveau déchirement pour lui, et on assiste à l’une des scènes les plus émouvantes du film.

Bref, ces deux vieillards n’ont plus de famille, ils ne sont que tous les 2 : « T’as de la famille, t’as des voisins, t’as des amis, je suis tout ça à moi tout seul ! »

Mis au ban d’une société qui évolue trop vite et qu’ils ne comprennent plus, ils se sentent bien faibles face à une majorité écrasante de personnes qui passent leur temps à les humilier (moqueries, jets de cacahuètes, insultes…). D’ailleurs l’un d’eux, Le Bombé, fait une tentative de suicide après avoir été l’objet de railleries dans tout le village : « J’ai l’air d’un con dans tout Jaligny ! », « Mieux vaut la mort que l’déshonneur… ».

Enfin, beaucoup s’accordent pour dire que La Soupe aux choux est le seul film dans lequel De Funès tient le rôle du « faible », du persécuté, là où d’habitude il excelle en chef d’entreprise intraitable ou en gendarme sévère. Il se montre même très émouvant dans les scènes où il est question de sa femme. Le Glaude est donc un personnage 100 % inédit pour notre De Fufu national, et celui-ci nous montre une nouvelle facette de son immense talent.

Donc un film comme La Soupe aux choux nous fait passer du rire gras aux larmes sincères, en passant par la révolte, en tout cas il ne laisse personne indifférent !


Alors, ces comédies françaises, des « navets » sans profondeur ?

Je sais que ce billet ne révolutionnera pas le cinéma français, mais j’espère au moins vous avoir donné envie de (re)découvrir ces 2 films hilarants (mais pas que) !


Source de la top image : désolée, impossible de la retrouver…

7 commentaires sur “De la profondeur des « nanars »

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  1. Hello Skyler !
    Je te rejoins, je te rejoins.
    D’ailleurs, précisons que La soupe aux choux est une adaptation cinématographique de l’excellent roman de René Fallet pour lequel il obtint d’ailleurs le prix Rabelais en 1980.
    Peut-être que les littéraires savent mieux reconnaitre le bon que les cinéphiles…
    En ce qui me concerne j’ai toujours aimé le livre, ET le film. De Funès et Villeret y sont justes très bons.

    Aimé par 1 personne

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