Avant que le mot anglais « geek » se démocratise en France, le terme « ringard » était souvent employé pour désigner les intellos lunetteux qui passaient leur temps le nez dans les bouquins ou à jouer aux échecs avec leurs rares amis, au lieu de faire du sport ou de sortir avec toute une flopée de potes que de toute façon ils n’avaient pas.
Les doubleurs des séries américaines utilisaient ce mot pour traduire au mieux le « nerd » employé par les lycéens américains populaires (capitaine de l’équipe de foot qui, bien sûr, sortait avec une pom pom girl) pour se moquer de ces énergumènes dont ils ne comprenaient pas le mode de vie.
D’ailleurs ceux-ci étaient souvent caricaturés à l’extrême dans ces séries, souvenez-vous de Violet, dans Sauvés par le gong, qui était la petite-amie du garçon bébête du lycée, Screetch, et qui grognait comme une truie quand elle riait tout en remontant ses grosses lunettes qui ne cessaient de glisser sur l’arête de son nez ; souvenez-vous également de Steve Urkel dans La Vie de famille, avec son look inimitable et sa voix nasillarde qui en ont vite fait l’archétype du ringard télévisuel…
Puis, avec l’avènement des nouvelles technologies, les nerds doués en informatique sont vite devenus des geeks, et aujourd’hui on peut dire qu’un geek n’est pas un ringard, le geek assume d’être un geek car il sait que la société a besoin de lui (sinon comment qu’on fait quand l’ordi plante ???).
Bref, on peut dire qu’un geek est un nerd qui a réussi un semblant d’ascension sociale. Et en plus, cette phrase sous sa forme interrogative ferait un excellent sujet pour le bac de philo.
Les nerds les plus intelligents et donc doués en tout ont été quant à eux portés progressivement au rang de génies. Prenons l’exemple de la série Malcolm avec les têtes d’ampoules, ou de The Big Bang Theory et sa bande de pros de la science ; certains de ces génies incitent même à une analyse psychologique beaucoup plus profonde de leurs cerveaux surdoués : ainsi, Sheldon Cooper n’est-il pas un autiste doté du syndrome du génie, au même titre que Shaun Murphy dans The good Doctor ?
Bref, l’intello ringard et no life des années 80-90 a bien changé aux yeux des autres et aujourd’hui, geeks et génies sont respectés. La chenille intello est devenue papillon intello.
Mais bon, ça, c’est dans les séries télé.
Et on ne vit pas dans une série télé.
Et même si les séries télé sont souvent le reflet de la société, elles n’y sont pas 100 % fidèles.
Dans la vraie vie, outre le fait que beaucoup de génies, autistes ou non, restent incompris de leur entourage, si on ne fait pas « comme les autres », on est forcément bizarre.
On est donc vite catalogué comme un ringard qui « sait pas s’amuser ».
Je me définis donc moi-même comme l’une de ces ringardes qui hantent les allées des bibliothèques au lieu de se caler avec des potes à siroter des 1664 à l’abribus du coin.
Dès l’adolescence j’ai très vite fait partie de ce Club des Ratés, particulièrement au collège, comme je l’ai expliqué dans ce post : nul besoin de lunettes en culs de bouteilles ou d’appareil dentaire pour moi, ma coupe de cheveux improbable et mon non-style vestimentaire suffisaient amplement à me faire ressembler à un épouvantail. Ajoutons à cela les bonnes notes que j’avais dans pratiquement toutes les matières, et le fait que je ne passais pas mon temps libre à traîner les rues, et voilà la recette parfaite de la collégienne ringarde made in France des années 90 !
Mais même si dès le lycée, mentalité plus mature de mes nouveaux camarades et meilleur look aidant, je me suis moins sentie cataloguée comme ringarde, je sais qu’au fond de moi je correspond toujours au stéréotype de la nerd.
La seule différence est que j’ai maintenant une apparence « normale », disons qu’à ce niveau je me fonds dans la masse, ce qui me va très bien. Mais sur le plan intérieur, je pourrais légitimement reprendre la chanson de Claude Barzotti et en faire :
À l’école quand j’étais ado
Je n’avais pas beaucoup d’potos
Parce que j’étais une « intello »
Avoir des cheveux mieux coiffés
Arborer un look plus branché
M’auraient permis d’être acceptée
Je suis ringarde et je le reste
Et dans le verbe et dans le geste
Vos moqueries qu’j’ai pris dans la tête
Prouvent à quel point vous étiez bêtes
Je suis ringarde dans mes loisirs
Pas besoin d’alcool pour bien rire
Même si parfois je me déteste
Je suis ringarde et je le reste… **

Il suffit de se pencher un tant soit peu sur les loisirs de Skyler pour comprendre cela :
- la lecture (ironie du sort : à l’heure où j’écris cet article programmé, j’ai pour livre de chevet La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole, dont le héros, Ignacius, est un érudit no life qui vit encore chez sa mère et, au lieu de chercher un emploi, passe son temps vautré sur son lit à griffonner des textes dans lesquels il exprime son dégoût et son incompréhension du monde qui l’entoure — non, je le précise, ce n’est pas ce livre qui m’a inspiré le présent post dont le sujet germait dans mon esprit depuis longtemps déjà)
- l’écriture
- les émissions scientifiques et historiques à la télé
- la proto- et la préhistoire
- les jeux vidéo
- le jardinage*
- etc.
*Je ne pense pas qu’aimer le jardinage fasse de soi un ringard, mais disons qu’il s’agit d’une activité calme au contact de la nature, là où d’autres préfèreront s’abrutir devant les émissions de téléréalité que diffuse NRJ12 où des crétin(e)s passent leur temps à s’engueuler bruyamment dans leur monde bling-bling et superficiel…
Mon accointance avec le monde du jeu vidéo me catalogue également dans la catégorie des geeks gamers, même si je suis loin de l’image extrême qu’on peut s’en faire (vous savez, dans le style du coloc de fac d’Axel dans The Middle, bref le mec qui passe tout son temps à jouer à des jeux en réseau au point d’en oublier de faire autre chose comme se laver par exemple…).

Moi je me contente de me défouler dans les différents opus de GTA, d’améliorer ma conduite dans les jeux de courses auto, ou de revivre mon enfance en rejouant à des jeux rétro. Mais je n’y passe pas ma journée, et heureusement !
Donc oui, je suis une ringarde, mais aujourd’hui je l’assume complètement. J’assume complètement le fait d’avoir été une bonne élève, d’avoir une certaine facilité avec l’informatique, d’être une gameuse, d’aimer lire et m’auto-documenter, de ne pas supporter la vue des trop nombreuses fautes d’orthographe ou de syntaxe qu’on trouve malheureusement partout, et de ne pas aimer :
- passer mes soirées en boîte à écouter une musique que je n’apprécie pas à un volume beaucoup trop fort
- aller à des soirées où ne pas boire d’alcool est mal vu
- faire des fêtes bruyantes chez moi avec musique à fond et convives qui parlent et rient bruyamment dehors jusqu’à des heures indécentes sans penser aux voisins qui souhaitent peut-être passer leur nuit au calme
- me retrouver avec des potes pour des conversations endiablées sur le dernier épisode des Kardashian ou des Marseillais ou des Ch’tis ou des Anges ou…
N’allez pas croire que je ne sors jamais de chez moi, n’exagérons rien, mais je ne passe pas tout mon temps libre à crapahuter, je préfère être au calme !
Bref, ami(e)s ringard(e)s de tous âges et de tous pays, assumez-vous ! Un jour notre peuple vaincra !
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Après ce post interminable (je vous l’ai dit : j’aime écrire !), je vous laisse avec un autre sujet de réflexion digne du bac de philo :
Le ringard d’aujourd’hui est-il le branché de demain ?
Vous avez 2 heures.
** Tradition oblige, voici la chanson inspiratrice : Le Rital de Claude Barzotti
Source de la top image : https://www.indianfolk.com/revenge-nerds-edited/
Bonjour Skyler
Ton post me fait penser à moi sur bien des aspects, sauf la partie jeux et férue d’informatique (bon l’histoire aussi c’est pas forcément mon domaine de prédilection lol). Et j’ai été limite plus « populaire » au collège qu’au lycée, j’y avais plus d’amis en tout cas.
Mais les activités calmes, ça me connaît, et ça s’appelle introversion (ça a été révolutionnaire pour moi de savoir que ça existait, que ce n’était pas une « maladie » et que je n’étais pas la seule dans ce cas, la preuve 😉).
Alors merci d’être ringarde, de toute façon, il faut de tout pour faire le monde..!
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Je ne suis pas non plus férue d’informatique, mais c’est juste que quand je veux faire un truc sur l’ordi, au lieu de demander aux autres ou de laisser tomber, j’ai la curiosité d’aller chercher moi-même comment on fait, et de tenter plusieurs trucs etc. Le problème c’est qu’au taf ils savent que je suis comme ça alors c’est toujours « Skyler comment on fait ci ? Comment on fait ça ? » Alors que quand on « gratte » un peu, on trouve, par exemple, comment mettre un fond de couleur dans une cellule de tableau…
Perso je n’ai jamais été populaire mais j’avais plus d’amis au lycée qu’au collège, le collège a vraiment été une épreuve pour moi, je m’y suis cassée le nez en débarquant avec mes bonnes notes et ma bonne volonté !
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Oui c’est sûr qu’après les gens en général recherchent la facilité, qui est visiblement d’embêter les autres au lieu de chercher soi-même, alors qu’au fond ce n’est pas compliqué.
Pour l’histoire collège/lycée pour moi ça a vraiment été l’inverse, à part en 6ème où ça a été un peu dur mais de la 5ème à la 3ème ça a été les meilleures années de ma vie à l’école, avec les copains on s’entendait bien. Après le lycée une autre histoire, j’ai eu de bonnes copines mais j’étais mal dans ma peau à cette époque… Comme quoi, chacun son histoire et ses ressentis 🙂
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Ce fut tout l’inverse pour moi, au lycée les élèves avaient des comportements beaucoup plus matures qu’au collège où fallait faire son/sa rebelle pour être à tout prix populaire…
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A te lire (avec un plaisir un peu ironique je dois avouer) je prends conscience de ma chance d’être d’une génération qui ne se croyait pas obligée de tout ‘foutre’ en anglais.
Texte bien écrit… comme d’hab du reste.
Et, de plus j’ai appris ce que signifie ‘geek’ tout en préférant le mot français ‘ringard’
Pour le reste, je constate que pour ce qui est de l’époque actuelle, nous sommes bel et bien dans la ‘NERD’…
Amicalement à toi!
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Merci
Joli jeu de mots ! 😉
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Je ne suis peut-être pas une vraie geek, vu que je je ne joue à aucun jeu vidéo et ne connaît pas de références dans la fantasy ou autres, mais ce qui est sûr, c’est que j’ai le profil de la ringarde et je l’assume ^^
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L’important c’est d’assumer ! 🙂
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Que dire de tout ça? J’ai été la ringarde, la tête de turc, la personne qui ne pouvait pas s’intégrer parce qu’elle n’était pas comme les autres et on me l’a reproché. Alors j’ai construit ma tour d’ivoire et maintenant j’aspire à la tranquillité. Je ne côtoie les autres que par obligations. Mon monde à moi ne me fait pas si mal que le vrai.
Il est le reflet du rejet des autres mais j’y côtoie les marginaux. J’y ai rencontré Musset et Zola, Baudelaire vient de temps en temps, Renaud parfois, Gainsbourg souvent. C’est un bistrot sympa où je bois rarement mais où j’aime à plonger. Et quand la solitude est trop forte, eux réconfortent.
Sinon je vois mes animaux et ils m’embarquent avec eux dans un monde sans jugement et faux semblant…
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Très bien dit ! 🙂
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Toujours un régal de te lire et merci pour cette affirmation du plaisir à être différent-e et toi/soi-même et notamment pour cette attention portée aux voisins et à leur épargner l’expression la pire qui soit de la vanité (je ne parle même pas de la vulgarité)humaine….
La préhistoire, Rhâââââââ!!! Enfin une fille intéressante !!!!!
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Si je dis que je n’ai pas la télé et que mon téléphone portable n’a pas internet…est-ce que je rentre dans la catégorie des ringardes? On rajoute à ça que, comme toi, je préfère une soirée lecture dans mon canapé (avec un gros plaid) qu’une virée au resto entre potes bourrés, là, c’est sûr je deviens pro du ringard! Mais je m’en porte bien!
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ah oui c’est vrai que j’ai oublié ce détail de ringardise : le portable à carte tout simple sans internet ! ^^
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